16.6.14

Améliorer le travail d’équipe oui, mais comment ?

   L’efficacité du travail d’équipe est une stratégie recherchée par les professionnels mais aussi par les dirigeants. La littérature scientifique s’intéressant au travail d’équipe et aux approches pluridisciplinaires, souligne que le travail d’équipe permet une meilleure cohésion d’équipe et une amélioration de la sécurité des prises en charge pour le patient.
   Ce travail d’équipe est un concept complexe à prendre en compte et à définir de façon précise. Souvent le dynamisme interprofessionnel est développé depuis quelques années mais peu d’études qualitatives s’y intéressent.
   Jones et Jones en 2011 [1] dans le Journal of Interprofessional Care s’y sont intéressés. Cette étude réalisée chez nos voisins anglais s’intéresse donc à la perception que possèdent les personnes d’une équipe sur la notion de cohésion ou d’ambiance au sein d’une équipe.


   Pour leur expérimentation, Jones et Jones ont restreint leur champ d’action sur l’aile d’un hôpital contenant une trentaine de lits dans un service de gériatrie. Cette étude comporte 2 grands temps : Un temps d’observation et un temps d’action. Lors du temps d’observation les auteurs ont pris des notes et ont analysé les différentes situations pouvant être améliorées. Des professionnels de santé volontaires, 12 au total, ont également été interviewés via des questionnaires semi-directifs afin de connaitre l’ambiance du service. Ensuite une équipe pluridisciplinaire, comprenant des professionnels du service mais aussi personnes extérieures au service, s’est créée afin de trouver des réponses au manque de communication et de cohésion au sein de l’équipe évoluant dans l’aile du bâtiment concernée. Trois changements furent décidés par ce comité de pilotage afin d’améliorer la qualité des soins et le travail d’équipe.
  1. Rendre plus accessible et adjacent les salles où les patients sont pris en charge afin que les thérapeutes puissent se croiser plus facilement
  2. Des staffs journaliers et hebdomadaires ont été annexés au planning de chaque thérapeute afin que les décisions soient plus réfléchies et mieux adaptées lorsque tous les acteurs qui gravitent autour du patient se coordonnent autour d’un projet thérapeutique individualisé.
  3. Des groupes de travail sous forme de « workshops » se sont mis en place pour aider les professionnels à se coordonner et comprendre les stratégies favorisant un changement d’organisation du travail et de mentalités concernant le travail en équipe.


   Après ces changements, les auteurs ont réalisé 2 sessions d’entretiens. Les données de ces interviews furent analysées par un groupe indépendant issu de différentes disciplines afin que celles-ci soient comparées à celles de la littérature. 4 thèmes furent approfondis : la confiance entre professionnels, la sécurité des professionnels ainsi que des personnes prises en charge, les médiations et leurs effets lors des conflits et enfin l’autonomie du professionnel et sa place au sein de l’équipe.

   La confiance : Lorsque les professionnels se font confiance, tiennent leur parole et réalisent ce qu’ils énoncent, cette notion est un élément sécurisant au sein d’une équipe. Avant, celle-ci semblait être négociée et environnement ou tâches dépendantes. A la suite des changements, et malgré la difficulté des auteurs à objectiver une augmentation de la confiance interprofessionnelle, le sentiment de confiance mutuelle était augmentée.
   La sécurité : Pour les auteurs, la sécurité est étroitement (re)liée à la notion de confiance inter et intra professionnelle. Afin de quantifier les évolutions post changement, les auteurs se basent sur les incidents au sein de l’aile étudiée lors de la phase expérimentale de l’étude. Jones & Jones remarquent alors une diminution des événements indésirables ou incidents. Vous trouverez ci-dessous les résultats.
   Les conflits : Un conflit intervient lorsque des professionnels entre eux ne possèdent pas la même vision sur une ou plusieurs thématiques. Souvent, leurs relations deviennent incompatibles du fait d’un différend personnel ou professionnel. Durant les entretiens, aucun des professionnels interrogés ne critiquèrent ouvertement un professionnel mais plutôt l’équipe ou le groupe. La résolution des conflits au sein d’une équipe est plus simple à réaliser lorsque toute l’équipe travaille dans le même sens vers un objectif commun. Bien que les conflits soient inévitables, il s’avère que ceux-ci soient diminués lorsque la confiance interprofessionnelle est élevée et/ou bien établie entre chaque professionnel.
   Autonomie : Jones & Jones fondent leur analyse sur l’autonomie épistémologique que possède une science par rapport à l’autre. Ce qui revient à comparer les métiers entre eux et sur quelles compétences/connaissances ces métiers se chevauchent tout en restant complémentaires. Creusant un peu plus cette notion, ils se raccrochent aux concepts de satisfaction du travail réalisé mais aussi de reconnaissance interprofessionnelle.

   Prenant le parti que ces thématiques jouent sur la présence des professionnels, les auteurs ont comparé les absences et les arrêts maladies des personnes entre le temps d’observation et le temps expérimental. Selon la littérature, un haut niveau d’autonomie professionnelle permettrait une meilleure satisfaction personnelle et une meilleure cohésion de groupe. Les auteurs ont observés une diminution des absences et congés maladies

   En conclusion les auteurs soulignent les limites de leur investigation en insistant sur le peu de données traitées (12 personnes) et donc sur l’impossibilité de généraliser sur l’ensemble de l’établissement. Il semblerait quand même qu’une amélioration de la confiance inter professionnelle soit une condition sine qua non pour observer une meilleure cohésion d’équipe et une efficience du travail. Et malgré l’envie identitaire de chaque professionnel en terme d’autonomie, il s’avère que dans certains cas, celle-ci soit mise de côté pour le bien l’équipe et son travail.



Avis du GERAR :
Pour répondre au titre de cet article il suffit de suivre la recette:
  1. Augmenter les temps de rencontre entre professionnels d’un même métier  mais aussi entre professionnels de différents métiers.
  2. Les faire participer à des travaux/staffs autour de la cohésion d’équipe.
  3. Placer une autorité qui puisse donner une autonomie aux professionnels, mais aussi une ligne directrice.
  4. Rassembler les professionnels dans un même lieu afin qu’ils puissent cohabiter et travailler ensemble.
Pourtant…

   Ces moments de rencontres ne produisent pas d’activité, certes, ce discours économique reproche aux réunions ou aux différents staffs  mis en place un manque à gagner en terme de prise en charge, donc une perte de rendement. Mais dans ce cas, comment voulez-vous donner une direction à une équipe lorsque celle-ci ne se retrouve pas pour discuter. Au niveau personnel et copiant la démarche EBM, difficile de prendre en charge une personne si vous ne l’avez pas évaluée. C’est une séance de « perdue » pour certains car basée sur l’évaluation et l’entretien, mais celle-ci est essentielle pour ne pas perdre du temps plus tard dans la prise en charge. Et pour ceux qui utilisent le PMSI et qui cotent selon le nouveau catalogue des actes du CsARR il existe un code ZZC+221 : Synthèse interdisciplinaire…
   La cohésion d’équipe implique différentes notions subjectives, attitudes et comportements des personnes. Certains cadres ou chefs d’équipes ne semblent pas se préoccuper par celle-ci. Peut-être sont-ils trop impliqués dans un rôle de leadership et non de management. A ce propos, voici une vidéo intéressante sur la différence entre ces 2 notions. A méditer.
   L’autonomie professionnelle peut se retrouver dans la prescription médicale. Celle-ci peut être trop restrictive et intégrer des objectifs qui ne collent pas avec la profession. Pourquoi ne pas faire des présentations sur chaque profession aux autorités prescriptives afin de leur expliciter le rôle et la place de chacun autour du patient. Rappelé plus haut dans l’article, l’autonomie professionnelle peut parfois être mise de côté pour le bien de l’équipe tant qu’une communication existe…
   La configuration des lieux de travail n’est pas toujours adaptée au travail en équipe. Les bâtiments où d’autres professionnels travaillent dans les étages ou dans des salles éloignées les unes des autres, posent des limites en terme de communication. Allez à la rencontre de vos collègues, et si vous manquez de temps, les réunions de service sont faites pour ça. Il semble donc important que ces remarques concernant les agencements ou l’architecture du lieu de travail soit pris en compte pour un architecte en collaboration avec des ergonomes et certains professionnels qui évolueront dans ce nouveau lieu.

Woodcock - Lien

   Malgré ces remarques, l’article ne propose que peu d’outils d’évaluation objectifs comme des échelles, des questionnaires sur lesquels se rattacher. Les fans de statistiques ne s’y retrouveront pas car ils sont absents. Par contre, les auteurs ont retranscrit certains passages des entretiens et c’est surprenant à quel point le discours de certains professionnels peut ressembler à celui que nous pouvons avoir sur nos lieux de travail.
   Nous pouvons aussi se poser la question de la pertinence et la qualité des staffs. Là aussi, peu d’informations, il est pourtant rare de ne pas voir des questionnaires de fin de formations afin de pouvoir noter la « performance » de l’orateur et/ou de la formation. Le manque d’objectivité ne nous renseigne pas sur l’intérêt des professionnels à ces staffs : présentiel, échelles qualitative, etc.
   Les auteurs ont fait le choix de limiter les preuves d’une amélioration du travail en équipe à la baisse des évènements indésirables et à la prise des congés maladies, mais est-ce de bons critères ?

Et vous ? Comment ça se passe sur le terrain ?

Cet article est en accès restreint mais pas celui du GERAR, alors n’hésitez pas à le diffuser.


Bibliographie :
[1] Jones A, Jones D. Improving teamwork, trust and safety: An ethnographic study of an
interprofessional initiative. Journal of Interprofessional Care, 2011, 25: 175–81. Accès restreint.

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