11.9.13

L’ergonomie, c’est quoi ?

     Ce blog a toujours voulu solliciter la rencontre de différentes disciplines autour d’un but commun : pouvoir objectiver ce que les soignants font dans leurs pratiques. La pluridisciplinarité est très utile pour conserver un regard critique sur nos actions. A l’occasion des 50 ans de la Société d’Ergonomie en Langue française, ce billet a été rédigé dans le but de promouvoir l’ergonomie en direction des professionnels de santé. Il est question de présenter la conception de l’ergonomie française qui est historiquement différente de la vision anglosaxone des « human factors ». Pour illustrer le propos, nous tenterons de déterminer quel pourraient-être les champs d’action de l’ergonomie dans le milieu du soin. 
Le dialogue est ouvert pour une activité soignante plus efficiente.


En guise de préambule, même si aucune étude scientifique n’a été élaborée sur la perception qu’ont les soignants de l’ergonomie (lien recherche ici), nous ne serions pas surpris d’apprendre que ces professionnels l’identifient comme une analyse posturale des professionnels au travail. En effet, ces salariés font souvent état d’une gestuelle répétitive et/ou trop intense, cette information prise en compte sera remontée aux responsables de l’organisation du travail. Les accidents de travail et/ou les maladies professionnelles peuvent alerter également le Comité d’Hygiène, de Santé et des Conditions de Travail (CHSCT). Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS ou Musculoskelettal Disorders en anglais ; MSD), un terme devenu très usuel depuis la fin des années 90, ont été reconnus pour plusieurs, postures conflictuelles au travail (lien recherche ici). Force est de constater qu’on a voulu encadrer un panel de problématiques beaucoup trop large pour les seuls TMS ; devenant l’unique problématique dans le monde du travail. Est apparue alors une autre problématique très en vogue depuis les années 2000 dans le monde du travail : les Risques Psycho-Sociaux (lien recherche ici) que certains préfèrent qualifier de Troubles Psycho-Sociaux à l’image des TMS en mettant en évidence les souffrances psychiques au travail.

Définir l’ergonomie :

Pour définir l’ergonomie, la Société d’Ergonomie en Langue Française (SELF) propose une définition datant de 1969 qui est la suivante :

« L'ergonomie est l'étude scientifique de la relation entre l'homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail. Son objectif est d'élaborer, avec le concours des diverses disciplines scientifiques qui la composent, un corps de connaissances qui dans une perspective d'application, doit aboutir à une meilleure adaptation à l'homme des moyens technologiques de production, et des milieux de travail et de vie ».

Cette discipline se concentre sur l’homme en activité, le plus souvent dans le cadre de son travail. D’après cette définition, il s’agit de ressortir les déterminants de son activité à travers ses capacités intrinsèques et les conditions externes que lui offre l’environnement de son travail. La Self insistait déjà aussi sur la nécessaire pluridisciplinarité à mettre en œuvre au service de l’homme en activité, appelé aussi opérateur, et de ses conditions de travail.

Le schéma des 5 carrés :

Pour illustrer la représentation de l’approche ergonomique, le schéma des 5 carrés de Leplat Cuny [1] reste un gold-standard. Depuis ce schéma de 1974, beaucoup de mises à jour et de réactualisations ont pu être communiquées mais l’activité humaine reste dépendante des caractéristiques internes de l’opérateur. Cela parait évident mais la conception actuelle du travail se rapproche plus de postes standardisés sans prise en compte des spécificités de chaque opérateur et le monde des soignants n’est pas épargné par ce phénomène. Observer l’activité d’un sujet pour pouvoir l’analyser nécessite donc de connaitre les particularités de ce sujet d’un point vue physiologique, psychologique, sociologique, professionnelle suivant les hypothèses d’intervention ergonomique.

Pour permettre la réalisation d’une activité dans le travail, l’entreprise configure la commande à l’opérateur et les conditions externes que celles-ci sous-entendent. Cette tache prescrite représente faussement l’activité réelle pour beaucoup de travailleurs, qu’ils soient les opérateurs eux-mêmes ou bien le personnel encadrant. Prescrire est une activité très connue dans le monde du soin car les soignants se réfèrent tout le temps à la prescription médicale pour discuter travail. Il apparait un écart inévitable entre l’acte prescrit comme un massage ou une toilette de patient et les déterminants engagés par ces actes comme les spécificités de chaque patient, l’expertise des soignants, le moment du déroulement de l’acte et son environnement. Il en résulte que pour un même acte prescrit, l’activité réelle qui en découlera sera très variable et ce sera pourtant ce résultat qui sera déterminant pour l’opérateur et l’entreprise d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Il va de soit que la tache prescrite aille au-delà de la prescription médicale. Suivant la configuration du cadre de travail, la tache prescrite comprend la commande de l’employeur, les décrets de compétences les réglementations de fonctionnement interne comme les protocoles d’hygiène et de sécurité. Pour illustrer le propos voici une problématique d’écart entre prescrit et réel : quel soignant a pu respecter dans sa pratique quotidienne le nettoyage des mains avec la solution hydro-alcoolique suivant les recommandations gestuelles et temporelles (30 secondes)…

L’une des missions de l’ergonomie sera donc d’objectiver ces différences pour élaborer des pistes de réflexion et d’amélioration des conditions de travail pour l’intérêt des opérateurs et de leurs prescripteurs.

Quant à l’activité, prenons l’exemple de celle des soignants pour une meilleure compréhension. Elle se consacre principalement à soigner le patient. Si les caractéristiques de l’opérateur sont déterminantes pour comprendre l’activité de soin, celles du patient en sont tout autant. Se renseigner sur le profil du patient, les conséquences de sa pathologie et ses fluctuations amènent le soignant à constituer l’activité de soigner. Par exemple, l’entourage familial est un composant trop souvent oublié alors que les soignants interagissent très souvent avec la famille et cela a des conséquences dans la relation soignant-patient. Tous ces paramètres représentent les déterminants de l’activité et révèlent qu’il peut y avoir une énorme variabilité dans le soin prodigué au patient. Soigner c’est aussi une production de service qui prend en compte la relation humaine et les interactions qui la composent, soignant-patient mais aussi soignant-soignant. Sommes-nous aux faits de ces questions pour optimiser le travail des soignant ?

     Toutes ces conditions de réalisation de l’activité vont avoir par voie de conséquence des effets à court, moyen, long terme, sur le soignant ou l’opérateur lui-même et également des effets sur la tache prescrite initialement. Ces effets seront déterminants pour l’opérateur afin de développer les stratégies opératoires le faisant passer au fur et à mesure du temps du stade de novice au stade d’expert de son travail. A compétences égales, il faut préciser que l’expert n’est pas meilleur que le nocive et ils amènent tous deux une plus-value par l’activité en mettant en exergue différentes stratégies opératoires. Ces stratégies propres à chaque acteur permettront la bonne réalisation de la tache initialement prescrite en une activité imprégnée de la réalité circonstancielle.

NS.




[1] Leplat, J., Cuny, X. (1974). Les accidents du travail. PUF, Paris.

2 commentaires:

  1. "Cette discipline se concentre sur l’homme en activité, le plus souvent dans le cadre de son travail."

    Le code du travail définit différents paramètres de pénibilité au travail (http://www.inrs.fr/accueil/demarche/evaluation-risques/penibilite.html ). je pense qu'il en a oublié un : "le vieillissement humain" au cours de sa vie de travailleur? (http://www.cisme.org/wpFichiers/1/1/Ressources/File/ASMT/ERGONOMIE/seniors%201.pdf )

    c'est un sujet d'actualité (réforme des retraites)car nos Hommes Politiques semblent ignorer que l'être humain est un être vieillissant (adaptation de la charge de travail tout au long de la vie professionnelle?) ;-)

    Merci encore pour votre effort de relever le niveau et un conseil (si je peux me permettre)une rubrique "anglais scientifique" serait la bienvenue...car malgré Google les traductions sont difficiles à comprendre ( http://www.jneuroengrehab.com/content/9/1/28 )

    François Angelini
    20600 Bastia

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  2. Merci pour votre commentaire François,
    Nous avons lu le document sur le vieillissement au travail. bien écrit et assez didactique

    Si la proprioception est un terme difficile à déterminer scientifiquement nous préférons le terme de posture accessible à tous
    La créativité est un paramètre très intéressant à développer , auriez vous des méthodes, échelles tests à recommander ?
    Enfin la productivité et la performance chez les personnes âgées encore très méconnue nécessite encore un focus plus important encore car il permettrait le dialogue entre tous les acteurs de l'entreprise...

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