8.6.13

Le rôle du ligament croisé postérieur dans l'arthroplastie de genou

  Dans l’optique de connaître le rôle du ligament croisé postérieur (LCP) du genou, différentes études ont été sélectionnées pour mettre à jour la controverse qu’il existe sur la place du LCP dans les arthroplasties du genou.

   Cette controverse semble avoir commencée au milieu des années 1980 et le GERAR veut, via l’analyse de 4 articles, élucider la place du LCP dans une arthroplastie de genou.

   Commençons avec un premier article rédigé en 1998. Perreira and coll. [1] ont réalisé une étude rétrospective sur plus de 100 patients opérés d’une PTG avec ou sans LCP. Tous les patients ont été opérés par le même chirurgien avec la même prothèse ne possédant pas de stabilisation postérieure. Les sujets de cette étude ont été évalués avec le questionnaire Hospital for Special Surgery-Score (HSS) et les résultats ont été comparés à 6 mois, 1 et 2 ans. Les auteurs concluent qu’il n’existe pas de différence entre les 2 arthroplasties avec ou sans LCP. Cette étude n’est pas plus présentée, vous retrouverez par conséquent plus de détails sur cette étude dans l’avis du GERAR.

   L’équipe de Misra en 2003 [2] une étude avec un objectif semblable à celle de Pereira et al. Ils veulent connaître l’effet de l’absence du LCP dans les résultats postopératoires après arthroplastie de genou. Pour cela ils mettent en place une étude prospective randomisée contrôlée intégrant 103 patients séparés en 2 groupes homogènes avec un appariement
anthropométrique. (Pour plus d’infos sur l’appariement ou matching cliquez ici – Bland JM Altman DG. Statistics notes: Matching. BMJ 1994;309:1128) Tous ces patients passent le HSS et une échelle de satisfaction, où le 0 rend compte d’une insatisfaction complète et 10, le contraire. Grâce aux radiographies, l’alignement fémoro-tibial a été vérifié en charge dans le plan frontal et le recul du fémur sur le tibia (rollback) à 90° dans le plan sagittal à 6 semaines, 6 mois, 1 et 2 ans.
   Les sujets de l’étude réalisent une semaine en moyenne de rééducation standardisée en postopératoire immédiat, où les objectifs étaient le renforcement du quadriceps et la mobilisation progressive de l’articulation. Tous les patients ont été opérés avec le même modèle de prothèse : une prothèse faite pour le maintien du LCP. Les résultats ne montrent pas de différence sur le questionnaire HSS et l’échelle de satisfaction entre les 2 groupes durant tout le suivi. Les clichés radiologiques objectivent un rollback positif chez 1 patient sur 5 dans chacun des groupes. Ce rollback pour les auteurs, en s’appuyant sur des études précédentes, serait à l’origine d’une augmentation de la force musculaire du quadriceps et permettrait une augmentation de la flexion. Ce n’est cependant pas avec leur étude qu’ils soutiennent ce type de conclusion. Misra and coll. concluent sur l’absence de différence entre les 2 groupes de patients.

   Victor et al. en 2005 [3] veulent évaluer la différence entre des arthroplasties de genou conservant le LCP et des arthroplasties le sectionnant, sur des critères de qualité de vie et d’amplitude articulaire. Ils posent comme hypothèse de départ qu’il existe des problématiques cinétiques et que celles-ci n’ont pas encore été mises en valeur par les anciennes publications. D’après les études citées par les auteurs, il semble qu’un rollback important soit corrélé à une flexion de genou augmentée, surtout en l’absence de LCP.
   44 patients possédant une arthrose de genou avec au maximum une déformation en varus ou valgus inférieur à 15° ont participé à cette étude clinique. Ils ont été séparés en 2 groupes de façon randomisée et opérés d’une arthroplastie de genou avec ou sans conservation du LCP. Cependant, les sujets qui ont eu le LCP sectionné ont bénéficié d’une PTG avec implant de stabilisation postérieur. Chaque patient a dû répondre au Knee society score, au WOMAC et au SF-36. Les thérapeutes, évaluateurs et radiologues étaient « aveugles » du type d’opération réalisée. Les patients ont été suivis après l’opération avec des clichés radiologiques et la passation des questionnaires au 3ème mois, à 1, 2 et 5 ans. Les auteurs ont également utilisé une nouvelle technique d’analyse d’imagerie par fluoroscopie ou radiographies en mouvement sur 15 patients, dont 8 porteurs d’une PTG sans LCP.
   Les résultats ne montrent aucune différence significative entre les 2 groupes à chaque temps de contrôle pour les questionnaires. Cependant, il semble exister une faible corrélation entre la position antéro-postérieur du fémur par rapport au tibia et l’amplitude maximale de flexion de genou avec une relation linéaire forte (R=0,89 et p<0,006) chez les patients porteurs d’une PTG sans LCP. Des tests fonctionnels ont également été réalisés et il s’avère que le rollback lors de montée et/ou de descente de marche est significativement plus important. Les auteurs soulignent l’importance de la position du fémur sous le tibia, qui semble provoquer en actif une flexion de genou plus importante lorsqu’il est antériorisé mais il n’existe pas de différence en passif. Victor et al. remettent en question les surfaces de glissement dans les différences d’amplitudes entre les 2 types de prothèses.

   Toujours dans cette optique d’objectivation de l’effet de conservation du LCP au sein des PTG, Ritter and coll. en 2012 [4] ont suivi plus de 3000 PTG opérés par 2 chirurgiens sur 20 ans. Les patients sont âgés en moyenne de 69 ans, avec un IMC moyen de 28,7 kg.m-2 et diagnostiqués à plus de 96% pour de la gonarthrose. Le LCP est gardé intact ou sectionné en fonction de la présence ou non d’un rollback. Les sujets ont été évalués en pré opératoire et en post opératoire à 6 mois, 1, 2, 3, 5, 7, 10, 12 et 15 ans avec le questionnaire de la Knee Society. Sachant que les fibres du LCP sont libérées si et seulement si le rollback n’est pas présent.

Tirée de: Rev. bras. ortop. vol.46 no.4 São Paulo  2011

   Les auteurs retrouvent des résultats significativement différents, après régression linéaire multiple, sur la flexion de genou et sur la montée de marche selon le questionnaire de la Knee Society. Les patients dont le LCP a été coupé possèdent une flexion plus importante avec une facilité plus marquée lors des montées ou descentes d’escaliers.
Si le LCP est détaché lors de l’opération, il ne semble pas nécessaire pour les auteurs [4] d’utiliser une prothèse avec stabilisation postérieure.

Avis du GERAR:
   Concernant l’étude de Pereira en 1998 [1] et à la lecture du protocole, il est facile de se poser la question de l’avis éclairé des patients concernant le type d’opération qu’ils ont subi ? Aucune information n’est donnée. A savoir que le type d’arthroplastie a été choisi d’abord sans LCP, puis après une cinquantaine de PTG, le LCP fut conservé.
   Les auteurs [1] analysent des pourcentages et n’utilisent pas les bons tests statistiques. D’après les données du protocole, le test du chi2 avait toute sa place car ce sont des comparaisons de pourcentage d’évolutions, mais ils ont préféré utiliser des tests paramétriques de type t de Student.
   C’est un article court, avec la présence de doublon dans les résultats en tableaux et en graphique, ce qui n’apporte pas grand-chose de plus. Court aussi parce qu’aucune données des analyses statistiques n’est communiquée et de ce fait nous ne pouvons avoir une idée précise des différences ou des similitudes des résultats. Pourtant cet article a mis 8 mois
avant d’être accepté, plutôt habituel pour une revue internationale, comment les reviewers/relecteurs sont passés à côté de cela ?
   L’article de Victor et al. [3] possède également des erreurs statistiques majeures en traitant, par des tests paramétriques des données ne suivant pas les principes d’une loi normale. Misra and coll [2] font le choix d’un risque alpha à 0,01, risque très faible, donc augmentation de la précision de l’analyse statistique, mais pourquoi ce choix ?
Le traitement statistique de Ritter et al. [4] fait preuve d’un sérieux plus engageant sur les résultats des analyses avec une argumentation des tests statistiques.

   L’étude de Ritter [4] possède un suivi long, entre 1987 et 2007. Ce qui laisse penser à beaucoup d’évolutions anthropométriques en 20 ans, et donc à des biais de sélection dus à une fourchette de sélection trop importante. Généralement les études rétrospectives ne s’ouvrent pas sur des périodes si longues sans prendre en compte d’autres paramètres importants visant à mieux définir la population telles que les comorbidités, le statut social, le niveau d’activité physique, etc. Mais surtout leurs évolutions.

   Les protocoles de rééducation/réhabilitation ne sont pas du tout explicités. En tant que professionnels de la rééducation/réhabilitation, ce sont des données qui manquent et qui sont toujours intéressantes dans un souci de comparaison avec notre pratique. Certes, les questionnaires HSS et celui de la Knee Society sont utilisés afin d’évaluer un niveau fonctionnel, mais sont-ils les seuls et les plus fiables dans l’évaluation de la douleur, des douleurs, de la mobilité articulaire ? Dans le cas de ces études rétrospectives, les questionnaires renseignent sur un niveau fonctionnel subjectif et permettent l’appariement des groupes pour les futures comparaisons statistiques.

   Dans toutes ces études, certains patients inclus ont subi une arthroplastie des 2 genoux. Est-ce un biais de sélection ? D’un point de vue radiologique, ceci ne semble pas poser de problème surtout si ces radios sont présentes pour justifier la présence ou non d’un rollback ou du positionnement des implants prothétiques. Mais dans une approche plus globale, justifiée par l’utilisation de questionnaires, est-ce raisonnable d’inclure des patients opérés en bipodal ? Sous entendu qu’il peut exister des phénomènes algiques ou de compensation sur l’un ou l’autre des membres inférieurs pour les critères de cotation des questionnaires utilisés. Un suivi sur plateforme baropodométrique pourrait être une stratégie de suivi de la mise en charge corporelle des patients en pré et post-opératoire.

   Dans chaque article, les marques et modèles des compagnies de prothèses sont cités. Conflits d’intérêts diront certains, pas si sûr, sachant que les auteurs [1-4] ne déclarent avoir aucuns conflits d’intérêts au regard des articles rédigés. En revanche, existerait-il un lien avec l’économie ? Le prix des prothèses, le temps d’opérations et le temps d’apprentissage des opérations chirurgicales doivent être plus ou moins courts fonction de la complexité des prothèses utilisées et de la difficulté du type d’opération. Nous tenterons de questionner nos collègues chirurgiens afin de tenter d’élucider ces questions.

   En conclusion et malgré la faiblesse du traitement statistique il semble, pour les auteurs des articles analysés, que la présence ou l’absence du LCP dans les arthroplasties de genou n’influence pas les résultats à court et à long terme. Et de ce fait, le LCP ne semble pas influencer nos prises en charge de professionnels de terrain envers ces patients.

   Pour plus de renseignements concernant la place du LCP dans l’arthroplastie de genou, n’hésitez pas à lire l’article de la Cochrane collaboration publié en 2005 [5]. Les conclusions sont simples : Manque de qualité des études ne permettant pas de prendre une décision dans le sacrifice ou le maintien du LCP dans les arthroplasties de genou.

   Ci-après les conclusions des auteurs [5] :
“These results should be interpreted with caution as the methodological quality of the studies was highly variable. We conclude that there is, so far, no solid base for the decision to either retain or sacrifice the PCL with or without use of a posterior stabilized design during total knee arthroplasty. The technique of PCL retention is difficult because the normal configuration and tension need to be reproduced with ligament tensioners. Knowledge of the technique needs to be improved before it can yield superior results compared to the more straightforward techniques of PCL sacrifice or use of a posterior stabilized design. Also, studies evaluating the effect of both techniques should address the right outcome parameters such as range of motion, contact position, and anterior-posterior stability.”



[1] Pereira DS, Jaffe FF, Ortiguera C. Posterior cruciate ligament-sparing versus posterior cruciate ligament-sacrificing arthrplasty. J Arthroplasty. 1998. 13;2:138-44. Accès restreint.

[2] Misra AN, Hussain MRA, Fiddian NJ, Newton G. The role of the posterior cruciate ligament in total knee. J Bone Joint Surg [Br]. 2003. 85B;3:389-92. Accès libre.

[3] Victor J, Banks S, Bellemans J. Kinematics of posterior cruciate ligament retaining and – substituting total knee arthroplasty. J Bone Joint Surg [Br]. 2005. 87B;5:646-55. Accès libre.

[4] Ritter MA, davis KE, meding JB, farris A. The role of the posterior cruciate ligament in total knee replacement. Bone Joint Res 2012;1:64–70. Accès libre.

[5] JacobsW, ClementDJ, Wymenga AAB. Retention versus sacrifice of the posterior cruciate ligament in total knee replacement for treatment of osteoarthritis and rheumatoid arthritis. Cochrane Database of Systematic Reviews 2005, Issue 4. Art. No.: CD004803. Accès restreint.


MV.

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